Yukiko SAKKA, sa vie jalonnée par la pâtisserie

Depuis 7 ans, Yukiko SAKKA est pâtissière co-propriétaire de la pâtisserie Nanan à Paris (rue Keller). Yukiko est à l’image d’une de ses œuvres préférées, L’éloge de l’ombre de Junichiro Tanizaki : son allure délicate et son abord discret, évoluent en un franc sourire engageant et accueillant. Son attitude dégage une énergie vivifiante, reflet de sa détermination. Elle est de celles et ceux qui ont été mus par une force intérieure, les ayant incités à quitter le berceau de leurs repères culturels et affectifs, pour partir à l’aventure d’un avenir ailleurs. Originaire de Tokyo, elle est arrivée à Paris il y a une vingtaine d’années. C’est là qu’elle a appris la pâtisserie. Elle en a fait un sésame pour ouvrir sa voie, créer son chemin, accéder à différents univers où s’exercer, s’affirmer comme entrepreneure, et aujourd’hui exprimer sa personnalité.

De Tokyo à Paris, quel a été votre parcours ?

J’ai toujours été attirée par les pays européens, d’autres cultures, c’est pour ça que j’ai fait des études d’anglais. 

La pâtisserie occidentale a d’abord été un loisir quand j’étais enfant, sans intention d’en faire mon métier. Jusqu’à ce que j’y vois un moyen de sortir du Japon. Le papa d’une amie à moi propriétaire d’une boutique au Japon, avait vécu en France, c’est lui qui m’a incitée à y aller.

Après une formation en pâtisserie de près d’un an à l’école Ferrandi de Paris au début des années 2000, mon premier stage s’est déroulé au Plaza Athénée. J’ai vu tellement de diversité dans ce que pouvait être la pâtisserie (à l’assiette en fin de repas, au salon de thé, les viennoiseries, le chocolat… qu’il m’a beaucoup inspirée, et m’a permis d’identifier vers quoi je voulais aller. À l’époque, le chef était Christophe Michalak, il préparait la coupe du monde (2005). Autre expérience décisive, celle chez Gérard Mulot, où je suis rentrée comme stagiaire pour 3 mois et où je suis restée 5 ans et demi ! Le travail était intéressant car varié : pâte à chou, tarte, viennoiserie, entremet en grande taille, petits gâteaux, chocolat, macaron… En plus, l’équipe était agréable et l’ambiance était bonne. Ensuite, j’ai appris encore beaucoup au Balzac chez Pierre Gagnaire où j’ai travaillé pendant 1 an et demi. 

Il y a 7 ans, ouverture de Nanan

Il y a eu d’autres expériences, jusqu’à ce que j’éprouve l’envie de faire encore plus de pâtisserie, de ne plus être contrainte aux horaires de la restauration, de suivre mon propre chemin. C’est là que nous avons ouvert Nanan avec mon associée. Au début nous étions seules, aujourd’hui 3 pâtissières et 3 vendeurs nous ont rejointes. Je voulais pouvoir travailler ce que j’avais envie de manger, d’utiliser de bons produits de saison, de bons ingrédients. Je suis très exigeante sur les bases, une différence minime de température ou de durée de cuisson, ça change tout. Mieux vaut faire moins mais le faire bien.

Je n’ai pas de spécialité, parce que j’ai du plaisir à tout ce que prépare. Les idées peuvent me venir en allant au marché, par exemple si je trouve de belles oranges, je vais avoir envie de les travailler, j’aime bien mettre en avant les produits.

Je suis très en prise avec ce qui m’entoure au quotidien, l’inspiration peut naître d’un voyage, d’une rencontre.

Des influences japonaises chez Nanan ?

Ma personnalité s’exprime dans cette boutique. Il n’est mentionné nulle part que c’est une pâtisserie japonaise, et pourtant plusieurs clients ont identifié cette tonalité. 

Au début, je ne voulais pas utiliser d’ingrédients japonais pour éviter les clichés. La clientèle demandait des gâteaux au matcha, au sésame noir, au yuzu… En y réfléchissant, après quelques mois, j’ai admis de les satisfaire. Je n’avais jamais utilisé ces ingrédients auparavant, et finalement je m’amuse à les travailler. Mais je n’en mets pas partout. 

Il y a les galettes et les petits cakes moelleux au thé vert, parfois je réalise des Paris-Tokyo au sésame noir et thé vert. Il y a aussi le chiffon cake, très populaire au Japon, je le faisais déjà quand j’étais petite à la maison. Certains clients qui l’ont découvert reviennent spécialement pour ça. La dernière création pour Mardi-gras, le 1000 crêpes, vient du Japon. Une cliente le demandait depuis plusieurs années. Il faut faire attention à l’épaisseur de la crêpe pour que ça ne soit pas écœurant, c’était subtilement parfumé au kirsch pour accentuer la légèreté. C’est en travaillant dans la restauration, que j’ai appris à faire très attention à ce que les desserts ne soient ni trop sucrés ni trop gras. 

Des projets ?

La boutique commence à être stable, avec une clientèle de quartier, mais il faut toujours être dans la création.

Je n’ai aucune envie d’évoluer vers un grand laboratoire avec plusieurs points de vente. J’aimerais travailler avec des chefs de restaurant, sur des évènements, avec des partenaires qui ne sont pas dans la pâtisserie, je réfléchis beaucoup à des évolutions. Ce qu’on peut proposer en boutique a ses limites, ça pourrait aussi être l’occasion pour moi de travailler ce que je ne fais pas, comme la glace. Peut-être aussi une activité complémentaire en tant que consultante, car j’aimerais partager mon savoir-faire, mon expérience. 

Votre prénom a-t-il une signification ?

Il signifie liberté et espoir. Je pense que ça correspond bien à ma façon de vivre, comme si le prénom marquait le destin.

Vos spécialités préférées de la cuisine japonaise ?

La sauce soja.

Quand je cuisine chez moi, et que je trouve qu’il manque quelque chose à un plat, il suffit que je verse un petit peu de sauce shoyu, pour que le goût de fermentation, l’umami, complètent ce qui manquait. Je la rapporte du Japon, ou je l’achète souvent chez Nishikidori.

J’adore les nigiri sushi, qu’on appelle aussi Edo mae sushi, originaires comme leur nom l’indique de Tokyo. À l’époque Edo, ils étaient un en-cas de taille assez grande pour rassasier les travailleurs. Au Japon, l’offre est plus grande et plus variée et les prix plus accessibles.

En France, pour le même prix qu’un restaurant de bons sushi, je préfère manger une bonne cuisine française.

Vos références culturelles japonaises ?

Le jardin japonais du parc de Bagatelle, mais il est incomparable avec ceux du Japon.

Je ne rate jamais les expositions comme celle consacrée à Hokusai.

J’apprécie l’architecture de la Bourse de commerce aux Halles imaginée par Tadao ANDO, ou l’intérieur de la maison Jugetsudo de l’architecte Kengo KUMA

Chaque fois que je rentre à Tokyo, je vais au musée Idemitsu, juste à côté du palais impérial, il y a souvent des expositions d’œuvres précieuses. De plus, la vue sur la ville y est magnifique. 

L’année dernière j’ai visité le quartier Shibamata, le style est le même que celui d’Asakusa mais avec beaucoup moins de touristes. C’est là qu’ont été tournés les films de la très célèbre série au Japon « C’est dur d’être un homme », avec le personnage de Tora san. Il regorge de petits commerces, de boutiques de gâteaux japonais, de « cantines », il y a un temple magnifique, et une maison traditionnelle avec un jardin soigneusement travaillé, qui abrite le salon de thé Yamamoto Tei. 

Une suggestion de lecture ?

« L’éloge de l’ombre », de Junichiro TANIZAKI. Il explique bien la culture japonaise, sa finesse, son côté sombre. J’aime bien aussi ce qu’écrit Souseki NATSUME, « Le pauvre cœur des hommes », « Je suis un chat ».

Les dessins animés de Miyazaki me plaisent, ils ont jalonné mon enfance, le dessin est très bien travaillé, et il y a toujours un message de fond. 

Le film « Les délices de Tokyo » m’a particulièrement plu aussi.

Appréciez-vous la cuisine italienne ?

Énormément !

Je suis sûre d’avoir toujours été influencée par cette cuisine, car avec mes parents nous allions souvent au restaurant italien.

J’ai un faible pour la sauce tomate. Avant, je mangeais des pâtes tout le temps, mon grand plaisir était un plat de spaghetti à la sauce tomate. Aujourd’hui je suis très attentive à ne pas consommer trop de gluten, alors je vais moins souvent au restaurant italien.

J’aime la combinaison câpres, anchois, tomate, olives, origan, car c’est le soleil.

Côté pâtisserie italienne, qu’on ne trouve pas vraiment en France, chaque fois que je vais en Italie, je regarde tout ce qui se fait. Une expérience m’a impressionnée à Amalfi, à la pâtisserie Pansa, la delizia di limone, qu’est-ce que c’était bon ! On arrivait de Sorrento en bus, la route avait été sinueuse, on avait l’estomac retourné, mais c’était le plein été et on a été attirées par cette jolie boutique. La delizia di limone était si délicieuse qu’elle a tout effacé des péripéties du trajet. J’ai essayé de reproduire cette pâtisserie, mais je n’ai jamais réussi !

Le baba de Napoli est bon aussi, fondant en bouche…

Les mots de la fin

Qui n’aime pas la cuisine italienne ???!!!

NANAN

38 rue Keller 

75011 Paris

Tél. : 09 83 41 38 49

https://nananpatisserie.fr

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