
Maki Jugetsudo rêve de partager l’art de vivre japonais dans un écrin de nature
Maki est le visage familier, doux, et souriant, de la boutique de thés et d’algues Jugetsduo, un îlot de culture japonaise où elle organise régulièrement événements et dégustations au rythme du calendrier du Japon, dans le quartier Odéon à Paris. Bientôt, elle concrétisera un rêve personnel en inaugurant un centre culturel et de bien-être franco-japonais, au large de la Capitale hexagonale.
Pour découvrir Yoshimi LANDEMAINE (Maison Landemaine, Land & Monkeys) : ici.
Parlez-nous de Jugetsudo…
L’affaire familiale est née dans le marché au poisson de Tokyo, à Nihonbashi, actuellement à Tsukiji. Mon frère cadet, directeur général, représente la 7e génération de l’entreprise familiale. Lorsque nous avons décidé de nous installer à Paris avec mon mari, qui est français, ouvrir une boutique de thé était le rêve de mon père. La volonté était de s’implanter dans un quartier parisien typique pour partager notre culture. L’inauguration remonte à 2008.
Comment diffusez-vous la culture japonaise ?
Nous organisons à la boutique des événements agrémentés de dégustations, la cérémonie du thé, des expositions d’artisans (laques, céramiques…). Des partenaires utilisent et proposent nos produits (pâtisserie Tomo, glacier Enzo & Lily, coffee-shop Obrkof…), Jugetsudo exporte Valrhona au Japon. Avec la crise sanitaire, il y a beaucoup de nouveaux clients et la vente à distance a explosé. Le thé est identifié comme bon pour la santé avec un gros succès du matcha.
D’où venez-vous ?
Je suis de Tokyo. J’étais en charge de projets de l’aide au développement dans une agence attachée au ministère des affaires étrangères du Japon, je voyageais souvent à l’étranger, surtout en Afrique et en Asie du sud-est. Je ne connaissais pas beaucoup le Japon en dehors de Tokyo avant de le quitter. Depuis que nous sommes en France, au gré des invitations des producteurs de thé, d’algues, d’accessoires, nous découvrons d’autres régions.
Vous avez un projet très personnel…
Pour la Tokyoïte que je suis, Paris c’est la campagne, mais j’aspire quand même à pouvoir m’en échapper un peu, alors je suis en train de créer un centre culturel franco-japonais en pleine nature, au sud de Paris. Il y aura un gîte, une ferme pédagogique, un espace bien-être (spa, cours de yoga), et des activités culturelles (thé, poterie). Vivre au rythme des saisons, en prise avec la nature correspond à la philosophie de vie japonaise.
Votre plat japonais préféré ?
Tokyo a été le centre de la gastronomie de l’époque Edo (du 17e s à la moitié du 19e s) avec les sushi, tempura, soba. J’adore les Edomae sushi, qu’on ne mange qu’au restaurant, préparés par un maître sushi. En France, on ne trouve pas la diversité des ingrédients qu’il y a au Japon et c’est cher. En famille, on mange les maki sushi, avec nos algues, on en faisait souvent le dimanche à la maison quand j’étais petite, et j’en prépare pour les dégustations à la boutique. Durant mon enfance, tous les samedis soirs nous allions au restaurant de sushis en famille, faire la tournée des clients auxquels on vendait les algues.
Votre adresse en France pour les consommer ?
Le Yen : leur spécialité est les soba, des nouilles de sarrasin, qui en principe se mangent en fin de repas, mais ils font aussi des sushis. Au restaurant de sushis non plus, il n’est pas habituel de commencer tout de suite avec les nigirisushis. Si on veut partager un bon moment, passer du temps ensemble, on commence par un apéritif avec des sasimis par exemple, et les sushi sont pour la fin du repas.
Votre engouement pour les sushis est freiné…
Un jour il pourrait ne plus y avoir de thon, alors il serait préférable de ne plus en manger. Mes filles ne mangent pas de poisson, elles sont végétariennes. Elles m’ont un peu influencée. On peut aussi faire les sushis avec des légumes, mais c’est différent.
Un lieu à visiter à Tokyo ?
Le marché de poisson Tsukiji. A l’origine, il était en 2 parties, le marché intérieur (jonai) réservé à la criée, a déménagé récemment. Il reste l’espace extérieur (jogai) avec des boutiques pour professionnels et particuliers. Notre magasin pour les professionnels a déménagé avec le marché intérieur et les 4 autres sont restés. Mon père qui est encore très actif à 84 ans, est très engagé pour promouvoir le tourisme au Tsukiji.
Des restaurants à ne pas manquer à Tokyo ?
Le restaurant Sushi sei, pour les sushi, dans le marché de poisson Tsukiji. Je recommande également la sobaya (taverne) Sarashina no sato, on grignote des tapas, on boit du saké et on finit par les soba. Pour l’anguille (unagi), le restaurant Miyagawa. Ma famille était dans les métiers de bouche, alors le dimanche, avec mes parents et mon grand-père, nous allions dans des restaurants gastronomiques manger de l’anguille, il prétendait que c’était bon pour la santé.
Votre ingrédient favori ?
L’algue nori, incontournable ! Chez mes parents, on grignotait des algues séchées tout le temps, nature ou assaisonnées. Pourtant, je n’avais aucune envie d’en faire mon métier. C’était un aliment traditionnel, voire « ringard ». Ce qui faisait rêver, c’était la France, les Europes. Moi-même je voulais quitter le Japon, d’où mon premier métier puis mon départ pour Paris.
Un conseil de lecture ?
Kawabata Yasunari, prix Nobel de littérature, « La danseuse d’Izu », très poétique, très bien pour un voyage au Japon. Soseki Natsumé, « Sanshirô », « Je suis un chat », auteur de l’époque Meiji, il était enseignant, le gouvernement japonais l’a envoyé en Allemagne, de cette confrontation avec l’Occident, il est resté désabusé, ce qui parait dans son œuvre. Keiichi Yamamoto, « Le secret du maître de thé ».
Vos lectures sont ciblées ces derniers temps…
Depuis quelque temps je m’intéresse aux récits sur la 2e guerre mondiale. Jusque là, j’étais bloquée, il y a le traumatisme de l’évocation de Hiroshima à l’école, ce qu’on nomme « la pluie noire »… J’ai lu des récits d’Américains d’origine japonaise qui habitaient aux Etats Unis pendant la guerre, envoyés dans des camps d’internement, puis devenus soldats américains pour combattre au Japon. Au Japon, on en parle à l’école, mais pas dans la population, pourtant il ne faut pas oublier.
Partons en Italie…
Pour poursuivre avec l’histoire, j’ai découvert l’été dernier une partie de l’histoire italienne de la 2e guerre mondiale près du lac de Garde avec Salò *…
* De 1943 à 1945, Salò fut la capitale effective de la République sociale italienne (la capitale « officielle » restant Rome), dirigée par Benito Mussolini, aussi connue sous le nom de « République de Salò ».
Un peu de légèreté avec la cuisine italienne au Japon ?
Au Japon, la cuisine italienne, Il n’y avait que des spaghetti à mon époque, c’est récent qu’il y ait plusieurs variétés. J’adore les pâtes aux vongole ! Au Japon, elles sont seulement « blanco » avec du vin blanc. Ma mère en faisait tout le temps à la maison, car au Japon nous avons des vongole et on adorait ça… Je les ai découvertes « rosso » avec de la tomate en France. Au Japon, j’ai connu un plat que je n’ai jamais retrouvé en France : les fleurs de courgette farcies frites. C’était au restaurant Chianti, à Tokyo. Quand j’étais étudiante, j’ai mangé des arancini, ça s’appelait rice croquette, les boulettes étaient beaucoup plus petites. C’était la chaîne Capricciosa qui faisait ça, c’était très à la mode. J’ai retrouvé la version originale récemment en Sicile. Une copine à moi est amie avec Gigi Planeta, propriétaire de domaines qui produisent vin et huile d’olive. On préparait des sushi et eux des arancini (riz, mozzarella, sauce tomate et d’autres recettes).
Une adresse italienne à Paris ?
Dans le 5e arrondissement, rue Claude Bernard, nous allons chez Pasta & fagioli qui fait la pasta aux vongole avec des tomates cerises. Rue Grégoire de Tours, à côté de la boutique, il y Oenosteria, c’est très bon aussi. Puis il y a L’Inconnu, ce restaurant gastronomique où le chef est japonais.
Une adresse italienne en Italie ?
Cet été, nous avons découvert le Valdobbiadene, zone des vignes du prosecco, c’est très joli, un copain italien Massimo Coletti est propriétaire du domaine à San Fior, près de Conegliano.
Une adresse italienne au Japon ?
Mon père a un restaurant dans le marché Tsukiji depuis 2009, le chef a travaillé en Italie plusieurs années. Il cuisine poisson, légumes de saison, à l’Italienne. Le nom du restaurant Tsukiji Bon Marché, est un clin d’œil au grand magasin parisien. Situé au 1ER étage de notre boutique principal Jugetsudo à Tsukiji, il y a environ 100 places.
Le mot de la fin ?
La cuisine italienne, c’est bon !
JUGETSUDO Maison de thé japonais
95 rue de Seine 75006 Paris