Amélie PANIGAI, quand les racines prennent le dessus

À partir de ses racines paternelles en Italie du nord-est, Amélie Panigai n’a cessé d’enrichir ses liens avec le Bel Paese au fur et à mesure qu’elle descendait la Botte, jusqu’à la Sicile. Amélie entretient des rapports très intimes avec la nature, qu’elle exprime tant dans ses choix de vie que dans ses affinités gourmandes. Si son actualité est la publication de Ma cuisine vivante de Sicile, Amélie prête aussi sa plume aux rubriques voyage du site Internet Ali di Firenze. Elle est également l’auteure en quête d’éditeur d’un roman et d’un recueil de poésies. 

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Quel est votre lien originel avec l’Italie ? 

Enfant, toutes mes vacances se déroulaient en Friuli Venezia Giulia chez mes grands-parents paternels. Beaucoup de mes souvenirs sont attachés au potager de cette maison de famille. Elle était à proximité de Venise, une ville qui m’a émerveillée lorsque j’étais enfant. Longtemps, l’Italie s’est limitée pour moi à cette zone : Dolomites, Venise et la campagne alentour.

Lorsque j’ai décidé d’apprendre l’Italien au lycée, mon amour pour l’Italie s’en est trouvé décuplé. J’ai alors pu échanger, et le lien avec le pays s’est étendu de mes grands-parents à d’autres personnes.

Il n’y a pas eu de franche transmission de la part de mon père. D’une fratrie de 4 enfants, je suis la seule à avoir développé ces racines, le lien interpersonnel fort s’est noué avec mes grands-parents. Mon père n’est pas d’une génération qui valorise particulièrement ses origines. Pour autant, il a financé les cours d’italien que je suivais à distance, et a toujours eu une grande bienveillance à l’égard de mes découvertes italiennes. Son activité dans l’univers des vins de Champagne l’a amené à nouer beaucoup de liens en Italie avec les domaines viticoles, ce qui nous a rapprochés par le biais d’échanges sur les cépages, les vignobles, les vins d’Italie.

Vos attaches dans la Botte sont multiples, racontez-nous.

J’ai vécu un peu partout en Italie, tant dans des environnements citadins que ruraux. Vers l’âge de 20 ans, j’étais à Piacenza (Émilie-Romagne) pour mes études. Par la suite, en travaillant à l’Institut français de Florence, puis de Rome, j’ai étendu ma découverte de la Botte vers le sud. En Toscane, j’ai apprécié le contact fort avec la nature, ses champs d’oliviers… Rome est un vaste terrain de jeu esthétiquement incroyable. Puis la Sicile. C’est l’organisation du festival des jardins qui m’y a amenée en 2016. Aujourd’hui mes activités sont variées, toujours liées aux jardins (conseil, visite), mais aussi au bien-être avec l’organisation de retraites de yoga, au voyage avec des escapades en voiliers surtout dans les îles éoliennes, des rencontres et des liens avec des producteurs, à l’écriture avec le livre « Ma cuisine vivante de Sicile » qui vient de paraître, des travaux plus personnels avec un roman et un recueil de poésies, et des contributions aux rubriques « voyage » en Sicile et en Vénétie du site Ali di Firenze (https://www.alidifirenze.fr). Alice est une amie de longue date, nous avons travaillé ensemble à Paris, nous nous sommes retrouvées à Florence.

Quelles sont vos empreintes oenogastronomiques ?

En Vénétie, il y avait les escapades dans le potager de mes grands-parents, j’allais à Venise dévorer des cicchetti au marché du Rialto en fin de matinée, accompagnés d’un verre de blanc du Frioul, avant de m’évader sur l’île de Sant’Erasmo. J’étais inconditionnelle du baccala alla polenta de ma nonna.

À Piacenza, un job étudiant m’a amenée à travailler dans une pizzeria dont le propriétaire m’a sensibilisée aux qualités des blés anciens d’Ombrie. Je m’intéressais déjà à la cuisine grâce à ce que préparait ma grand-mère, mais sans avoir mis mes propres mains à la pâte. S’est ajouté à cela que mon colocataire était originaire du sud de l’Italie, il en rapportait des spécialités, j’ai ainsi picoré à ces exemples culinaires que j’ai remodelés.

Piacenza était entourée des vignes des Colli Piacentini alentour, il y avait le plaisir du parmigiano reggiano, dont la palette de parmesans affinés avec lequel se pointait chaque matin un compagnon d’université pour sa collation, les risottos d’automne, au safran, à la courge, burro e salvia.

Florence est culinairement synonyme pour moi de pappa al pomodoro chez Cibreo (Via del Verrocchio, 8r).

Rome évoque les puntarelle, les carciofi sous toutes leurs formes, et mon goût pour l’amer. Mes références : l’épicerie Castroni (via Cola di Rienzo, 196 – via Frattina, 79 – viale G. Marconi, 102), la charcuterie-restaurant Roscioli (Via dei Giubbonari, 21).

En Sicile, la ricotta et le pain, et je suis particulièrement sensible à l’explosion des agrumes, les arbres pleins de ces boules dorées. Plus généralement, l’île est abondante et généreuse de tout. J’apprécie d’y musarder et remplir mon panier de notes végétales : câpres, verdure spontanee, agrumes… notamment le citron dont j’utilise tout, y compris pour prendre soin de ma peau, comme produit d’entretien, le parfum des agrumes est si plaisant. J’aime fréquenter les marchés de Palerme.

Je nourris une passion particulière pour les câpres, je suis fascinée par la beauté de la fleur, sa senteur, et j’aime à la folie le goût végétal prononcé si singulier du bouton de câpre. Je suis enfin émerveillée par la force de cette plante qui pousse dans les endroits les plus rudes et que l’on trouve dans les interstices des rochers à pic sur la mer. Les câpres me transportent immédiatement dans les îles adorées de Sicile : Pantelleria, Salina…

À Paris, Il Barone (5 Rue Léopold Robert) est un restaurant que j’aime bien dans le quartier du 14earrondissement où j’ai vécu.

Vous venez de publier « Ma cuisine vivante de Sicile », quelle est son histoire ?

Au départ, j’ai rencontré Stéphanie de Bussierre, fondatrice de la maison d’édition Akinomé, à qui je voulais parler d’un roman que j’ai écrit. Elle m’a fait bifurquer vers ce projet parce que nos échanges lui ont donné envie de compléter la collection Cuisine, avec ce livre. 

Je me suis inspirée des cuisines que j’ai fréquentées, plutôt aristocratiques, avec à l’appui les notes de cuisiniers de l’ancien temps. La partie botanique est nourrie de mes connaissances. On retrouve des recettes de ma création, reflet de ce qu’on peut cuisiner quand on est en croisière sur un voilier, et composées des ingrédients à disposition en Sicile. Je partage aussi le fruit des échanges avec une amie naturopathe, sur les combinaisons entre produits de la nature et cuisine ayurvédique, en utilisant l’amande, la grenade. Je propose également des recettes avec de nouvelles cultures en Sicile, comme les pâtes à l’espadon et à la mangue.

Il faut savoir que la Sicile a d’abord été une terre d’oliviers et de vignes, avant que soient cultivés les agrumes. Les citrons de Sicile valent très chers, concurrencés par d’autres marchés en Europe, alors on trouve maintenant de l’avocat, de la mangue. J’ai souhaité mettre en avant ces ingrédients de façon innovante.

Le livre n’est pas composé que de recettes, on y trouve aussi des portraits de femmes siciliennes que j’ai rencontrées au gré de mes pérégrinations, ce qui explique le choix des produits que je cuisine : du blé ancien, des plantes aromatiques, le vin de cette femme Australienne qui cultive un vignoble en biodynamie sur les pentes de l’Etna…

Vos projets ?

J’étais en poste à Paris, lorsque dans le cadre d’un événement professionnel, j’ai rencontré un entrepreneur sicilien qui était mécène de l’exposition Jardin d’Orient à l’Institut du monde arabe. Il avait offert des plantes provenant de sa pépinière en Sicile. Il cherchait quelqu’un pour apporter une dimension culturelle à son projet de festival de jardins en Sicile. Il avait quelque chose de solaire qui était séduisant. J’étais de retour depuis peu en France après des années passées à Florence, puis Rome, il a été facile de me convaincre de repartir, portée comme je l’étais par mon amour pour l’Italie. 

Je travaille à un recueil de poésies sur la mer, des circumambulations.

J’ai écrit un roman fiction qui retrace une sorte de parcours initiatique inspiré de mon vécu. L’histoire se passe sur une île, avec l’ambivalence de se sentir à la fois loin et vulnérable mais aussi protégé. La mer, ce qu’elle évoque et ce qu’elle permet. La Sicile m’a permis de m’épanouir. La végétation, l’Etna, la mer, dégagent une énergie forte. S’y ajoute l’excitation du lancement d’un nouveau projet, d’une nouvelle expérience de vie. Aujourd’hui, je discerne la part d’ombre, il y a les désillusions d’un cheminement professionnel et personnel, les difficultés socio-économiques du sud de l’Italie. Je ressens parfois l’urgence et le besoin des stimulations culturelles de Rome, du continent, car vivre sur une île peut parfois être étouffant.

Vos affinités culturelles italiennes ?

Le travail de Julie Polidoro me touche énormément. J’aime à me perdre dans ses cartographies îliennes aux couleurs denses. 

Mon amie Alberta Florence, pour ses créations de vêtements élégants et éco-responsables réalisés à partir de tissus d’ameublement fabuleux. 

Maurizio Bomberini, pour ses adorables poissons et sa technique de peinture sur bois avec des dorures délicates dans la lignée des grands artistes florentins.

« L’Isola di Arturo » d’Elsa Morante m’a littéralement bouleversée. Un roman initiatique qui se déroule sur une île…

Les lieux qui me touchent particulièrement en Italie et où j’aime me retrouver : l’île de San Erasmo dans la lagune de Venise où je vais chercher des artichauts en canoë, les collines de Conegliano Veneto et les sinuosités de la Val d’Orcia où je me balade en vélo, les villes bourgeoises de l’Émilie-Romagne en hiver, en profiter pour aller au musée, m’imprégner de la chaleur des couleurs architecturales, boire des cafés marocchino en profitant du soleil. Je peux marcher des heures dans la lumière de Rome, entre les pins romains. J’aime naviguer dans les îles éoliennes, arpenter Stromboli et le sommet d’Alicudi au printemps où les odeurs des genêts sont envoûtantes et la vue à pic sur la mer magnifique ! Marcher à Pantelleria et me ressourcer.

Des liens avec le Japon ?

Stéphanie de Bussierre et sa maison d’édition Akinomé, qui a publié « Ma cuisine vivante de Sicile », où j’ai rencontré des auteurs qui ont des histoires et des parcours en lien avec le Japon.

Quand l’Etna est couvert de neige, les Siciliens le qualifient de mont Fuji.

Les mots de la fin ?

Je suis une équilibriste en mouvement permanent entre l’Italie et la France, mon panier à provisions à la main en guise de balancier.

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