Ayako OKUSA, cheffe pâtissière japonaise, fée de la pâtisserie française

Ayako OKUSA, cheffe pâtissière, co-propriétaire du restaurant TOWA à Paris (©Carole Gayet)

Née à Okinawa, Ayako a grandi, vécu, étudié dans les environs de Tokyo. En 2009, elle arrive à Cannes, dans le sud de la France. Elle rejoint rapidement la Capitale où elle enchaîne les maisons étoilées. En 2018, elle crée le restaurant Towa, avec Shin, son cuisinier de mari. Ils revendiquent une carte gastronomique française, qu’ils s’appliquent à exécuter avec élégance, finesse et gourmandise. Ayako accueille, sert et veille au confort des clients en salle, conçoit les desserts et assure soigneusement leur mise en place si besoin. Elle donne son avis sur les plats et veille à ce qu’ils participent à une expérience gustative équilibrée et harmonieuse. La composition de la carte des vins relève aussi de ses attributions et compétences. Rencontre avec une cheffe pâtissière dont le visage s’illumine, et dont le corps s’anime, dès qu’elle saupoudre, verse, dresse, étale…, au fur et à mesure que la composition enchante les pupilles avant de régaler les papilles.

Pour faire connaissance avec Keisuke YAMAGISHI, chef propriétaire du restaurant étude à Paris : ici.

Comment la pâtisserie s’invite-t-elle dans votre vie ?

J’ai toujours adoré la pâtisserie, d’abord la manger, puis très tôt, à l’âge de 9 ans, j’ai commencé à confectionner des sablés, puis de la pâte à chou. Chez moi, tout le monde était content ! Ma mère n’avait pas le temps de cuisiner, j’ai appris en regardant dans les livres. 

La pâtisserie française m’a toujours plus. Je n’ai jamais tellement apprécié ni l’aspect ni le goût très sucré de la pâte de haricot rouge, qu’on trouve dans la plupart des pâtisseries japonaises. Ma grand-mère en faisait beaucoup, j’ai fini par m’habituer ! D’ailleurs, il y a quand même un dessert japonais que j’aime bien : le creme anmitsu (an comme anko, mitsu comme sirop), un peu comme un parfait, avec de la gelée d’algue, du sirop de sucre roux, un peu de fruits, de la chantilly. Au restaurant Okuda, il est proposé avec de la glace matcha, de la gelée d’algue, des boulettes de pâte de haricot.

J’ai hésité entre apprendre la boulangerie et la pâtisserie, mais c’est la pâtisserie qui a eu ma préférence, car elle demande plus de travail, et le résultat est plus esthétique. Pendant 2 ans, j’ai étudié boulangerie et pâtisserie japonaise et française dans une école de Tokyo.

J’ai écarté le métier de cuisinier car au Japon, à mon époque, c’était un milieu difficile d’accès pour les femmes, et de toutes façons, le sang de la viande me rebutait.

Ayako OKUSA, restaurant TOWA, Paris (©Carole Gayet)

Quel a été votre parcours professionnel après l’école ?

Je voulais ouvrir ma boutique, mais j’ai changé d’avis après 5 ans à travailler dans une pâtisserie française à Hachioji, en banlieue de Tokyo, pour mon premier emploi. Mais j’ai compris que ça ne me correspondait pas. Ensuite, j’ai réalisé des pâtisseries françaises pendant 3 ans et demi dans un grand restaurant teppanyaki, où nous étions 8 pâtissiers. 

J’avais envie d’apprendre à travailler le sucre, le chocolat, et le chef de mon précédent emploi m’a conseillé d’aller en France. Je n’étais pas motivée mais je suis partie quand même en 2009, j’avais 29 ans. J’avais trouvé un poste depuis le Japon, dans une boutique à Cannes, j’étais attirée par le sud de la France et j’aime la peinture de Van Gogh, Marc Chagall. Ensuite j’ai été cheffe pâtissière au restaurant Antoine (Paris 16e), durant 2 ans et demi. Il a obtenu 1 étoile au guide Michelin pendant que j’étais là.  En 2011, j’ai travaillé au bistrot A&M, chef japonais, cuisine française. Puis au restaurant Sur Mesure, de Thierry Marx (Mandarin Oriental, 251 rue Saint-Honoré, 2 étoiles au guide Michelin) pendant 7 mois.  Ensuite je suis restée 2 ans, comme cheffe pâtissière à La Dame de Pic (20, rue du Louvre, Paris, 1 étoile au guide Michelin). En 2015, j’ai intégré le restaurant Le George (Four seasons hôtel George V, Paris 8) dès l’ouverture, avec le chef Marco Garfagnini, auquel a succédé Simone Zanoni. 

Puis, rencontre décisive et ouverture de TOWA

Je suis restée en France parce que j’ai rencontré Shin en 2011 avec qui je suis mariée, sinon je serais repartie au Japon. Nous avons souhaité avoir un restaurant ensemble, où il soit en cuisine et moi en salle. Dans cette perspective, je suis partie du George en 2017, pour apprendre le travail en salle, avec deux expériences de terrain. Nous avons repris le restaurant Will en 2018, dont nous avons changé le nom en septembre 2021, devenu TOWA (qui signifie « éternel » en Japonais).

La carte est élaborée ensemble, dans un souci d’équilibre et d’harmonie entre plats et desserts. Je goûte et donne mon avis sur ce qu’il cuisine, et Shin fait de même pour les desserts. On partage le même chemin. On aime manger, on ne parle que de ça ! C’est aussi moi qui choisis le vin, 90 % français, avec une prévalence de références de Bourgogne et du Rhône. Le menu carte blanche en 5 plats est à 90 €, le menu dîner (entrée, plat, dessert) à 73 € (sauf déjeuner jeudi et vendredi à 38 €). Les producteurs sélectionnés proposent des ingrédients d’exception, le nombre de couverts est réduit à moins de 30.

Un rêve : obtenir 1 étoile au guide Michelin. 

Puis, dans une dizaine d’années, peut-être que nous retournerons au Japon, pour être aux côtés de nos parents, et nous ouvririons un petit restaurant de cuisine française.

Vacherin par Ayako OKUSA, restaurant TOWA, Paris (©Carole Gayet)

Quels desserts chez Towa ?

De même que notre cuisine est française, les pâtisseries restent des classiques (vacherin, millefeuille, fraisier…) du répertoire français, que je revisite à ma façon. Une touche qui m’est très personnelle, est d’utiliser des ingrédients qui soient plus légers. Une fois qu’on a compris la structure et la composition d’une préparation, chaque ingrédient peut être revu. C’est ainsi que pour le fraisier, par exemple, je remplace le beurre par du mascarpone, au lieu de la crème, je fais un espuma, j’ai allégé le biscuit en farine, avec pour autre avantage d’avoir moins besoin d’être imbibé. 

Je conçois les pâtisseries, mais comme je suis en salle, les cuisiniers doivent reproduire comme j’ai expliqué et montré. Ils n’ont pas de formation en pâtisserie, donc j’évite les recettes trop compliquées. Si la mise en place est délicate, je m’occupe de la finition.

Je n’éprouve pas la nécessité d’une association franco-japonaise de saveurs ou d’ingrédients dans les desserts que j’imagine, mais les clients en sont friands. Alors nous avons accepté de satisfaire leur souhait. En mignardise, j’utilise du thé genmaicha, durant le confinement, j’avais fait un cheesecake au matcha. Je pense que je sais mieux utiliser les ingrédients japonais que les Français.  Mais ils ne sont pas indispensables, ce qu’on trouve sur place est tout aussi bien.

Détour par le Japon, y a-t-il une spécialité culinaire à Okinawa où vous êtes née ?

L’île n’a pas toujours été Japonaise, elle est géographiquement proche de la Chine et de la Thaïlande. Après la 2e guerre mondiale, elle a connu la colonisation américaine pendant 20 ans. La population n’était pas bouddhiste. Mon grand-père n’allait pas au temple pour prier mais dans la nature. C’est une région où les habitants sont très ouverts, la mer est belle, le soleil est au rendez-vous, mais il n’y a pas beaucoup de travail…

Pour ce qui concerne les spécialités culinaires, la friture est très présente comme pour le satandagi, un gâteau comme un grand donut. Quand j’étais petite, ma grand-mère faisait aussi de la friture de poisson, de patate douce. Elle préparait un gâteau sablé au saindoux et un peu de sucre roux, le chinsuko, de la glace et de la tartelette à la patate violette, des soba mais à la farine de blé et non à la farine de sarrasin, comme des tagliatelles, qui étaient servies dans une soupe avec de l’algue kombu et de la viande de porc. C’est une région où ils mangent beaucoup de pieds de porc, dans un bouillon avec une algue qu’on appelle le « serpent de la mer » (umi hebi). 

Au Japon, pas mal de restaurants font de la cuisine d’Okinawa. 

Votre spécialité culinaire japonaise préférée ?

Les sushis !!! je pourrais en manger tous les jours. Chaque détail a son importance : l’espèce du poisson, la température, l’assaisonnement. À Tokyo, la saveur du vinaigre est puissante, à Osaka ou Kyoto elle est moins prononcée. Ma préférence va à la préparation de Tokyo. La mer n’est pas à proximité, alors le poisson est mariné plus longtemps. On y utilise du vinaigre blanc ou rouge, ce dernier apporte un goût intéressant aussi. 

À Paris, j’apprécie ceux du restaurant Okuda (18 rue du Boccador) et du restaurant Isami de l’île Saint Louis, qui hélas a fermé l’année dernière. Ceux du restaurant Zen (8 rue de l’Échelle, Paris 1) sont bons aussi, et le chirashi spécial est très bien. 

Une personnalité japonaise qui compte pour vous ?

Keiko NAGAE, la 1re cheffe pâtissière japonaise à pratiquer la pâtisserie française en France, à l’hôtel Lancaster à Paris. Elle a travaillé avec Pierre Gagnaire, et maintenant elle est consultante en France et au Japon.

Des lieux au Japon où vous aimez vous retrouver ? 

J’aime l’atmosphère des whisky bars, j’y allais seule, une fois par semaine.

Une adresse que vous recommandez ?

La pâtisserie du chef pâtissier Kinzo NISHIHARA à Kyoto, ça s’appelle Au grenier d’or. Il a été le chef pâtissier d’Alain Chapel.

Un écrivain japonais ? 

Haruki MURAKAMI, et plus spécialement 1Q84 (en 3 tomes). Je ne comprends jamais la fin, mais c’est aussi ça qui est bien ! J’espère souvent qu’il va y avoir une suite pour avoir des clés de compréhension ! 

La cuisine italienne et vous ?

La pizza, non, la pasta, le risotto, la tomate, le basilic, l’ail… oui !

Quand je travaillais au restaurant Le George, les plats étaient très bons.

A la maison, Shin, mon mari, cuisine souvent des pasta : alla carbonaraaglio e olio à la façon japonaise avec du dashi.

Mais…, je préfère la cuisine espagnole ! 

Restaurant TOYA, Paris (©Carole Gayet)

TOWA

75 Rue Crozatier, 75012 Paris

Tél. : +33 1 53 17 02 44

www.towarestaurantparis.fr

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