Née au Japon, de mère Japonaise et de père aux origines franco-italiennes, Marina arrive en France en bas-âge. Elle part étudier à Londres, s’intéresse à la cuisine et à la pâtisserie, avant de trouver sa voie à Sakai au Japon auprès d’artisans fabricants de couteaux. Forte de la connaissance de la structure et de la fonction d’une large palette de lames, c’est désormais installée dans son atelier de l’est parisien (atelier DOMA, 17 avenue Ledru-Rollin, Paris 12), que Marina pratique telle une sculptrice, l’affûtage manuel de couteaux sur pierres à aiguiser. Pour partager son savoir-faire, elle anime des ateliers d’initiation à l’affûtage pour tous publics, et assure des formations dans les écoles de cuisine. Elle propose à la vente couteaux et pierres à aiguiser, l’opportunité de sensibiliser ses interlocuteurs au potentiel de chaque typologie de lame.
Pour faire connaissance avec Hideya ISHIZUKA (restaurant Le Petit Verdot, Paris) : ici
Comment l’affûtage manuel de couteaux s’est-il invité dans votre vie et en quoi consiste votre savoir-faire ?
J’ai étudié les arts plastiques à Londres, où parallèlement je cuisinais dans des restaurants, c’était passionnant. Puis je suis partie au Japon découvrir la cuisine, avant d’être pâtissière à New-York, et de retourner à Tokyo, durant 8 ans, où j’ai notamment été vendeuse dans une boutique d’ustensiles traditionnels japonais. L’affûtage faisait partie du service après-vente. C’est à l’occasion des visites sur les différents sites de production, qu’a commencé ma compréhension des méthodes de fabrication, des aciers, des enjeux de l’affûtage.
J’allais très souvent à Sakai (ndr : ville de la préfecture d’Osaka), où subsiste une tradition et un savoir-faire artisanal de fabrication. Un artisan m’a accueillie, c’est en travaillant à ses côtés que j’ai mieux compris l’objet.
À l’usage, la lame d’un couteau se déforme. Je dois la resculpter, lui redonner sa géométrie. Les couteaux japonais traditionnels ont de surcroît la particularité d’avoir une lame asymétrique. Pour retrouver un tranchant au maximum du potentiel de l’acier, connaître la structure intérieure du couteau est indispensable.
L’affûtage que je pratique se fait sur des pierres abrasives. L’homme en a utilisées dès qu’il a façonné des objets, depuis le Néolithique.
L’affûtage manuel sur pierre plane, permettant de contrôler l’angle et la pression exercée sur la lame, est une spécificité du Japon, que je ne connais pas ailleurs.
Considérez-vous être investie d’une mission ?
Oui. À Sakai, la moyenne d’âge des fabricants est élevée, avec peu ou pas de relève, car c’est un métier difficile, la formation est de longue durée sans beaucoup de débouchés. C’est là-bas que je continue de me former, auprès des artisans. L’outil ne risque pas de disparaître, mais ce qui pourrait se perdre c’est la connaissance de sa fonction, savoir comment l’utiliser à bon escient. Beaucoup de cuisiniers japonais de cuisine traditionnelle ne sont plus si compétents dans l’usage des couteaux asymétriques.
En parallèle, il y a les formations que j’anime dans les écoles de cuisine (Ferrandi, Ducasse).
Ma mission à travers les ateliers et les formations consiste à expliquer pourquoi cet objet existe depuis le 16es, d’où il vient, comment il a été conçu, pourquoi il a cette forme, pourquoi il a évolué, comment on s’en sert, comment on l’entretient pour mieux l’utiliser. Il faut en comprendre les subtilités en 3 dimensions, sa forme, à quoi il sert, pourquoi il est plus efficace dans certaines taches limitées.
Qui fait appel à vos services ?
Le couteau est un outil fondamental pour tout le monde, car tout le monde mange !
Aux ateliers d’affûtage que j’anime, il y a beaucoup de cuisiniers, mais aussi des particuliers qui veulent un couteau qui coupe à la maison, ça va du chef triplement étoilé au voisin de quartier. À Paris, il n’y a plus d’affûteurs, ça explique peut-être la diversité du public qui participe aux ateliers.
Il y a aussi des rémouleurs qui viennent se former à l’affûtage sur pierre, à la seule vitesse des mains, c’est beaucoup plus précis que celui qu’ils pratiquent. En travaillant à la main, on observe et on sent la matière qui se détache, on peut mieux contrôler l’opération.
Affûter une lame comme je le pratique prend au moins 1 heure, parfois des jours, ça coûte plus cher qu’un rémouleur, mais ça prend beaucoup plus de temps et le résultat est est durable et différent. La lame retrouve sa précision de coupe originelle, correspondant à l’usage spécifique du couteau. C’est tout ceci qu’il faut expliquer pour que les gens comprennent l’enjeu de mon travail. C’est l’objet des ateliers notamment.
Que trouve-ton quand on pousse la porte de l’atelier DOMA ?
Le cœur de l’activité est l’affûtage des couteaux à la main. Je peux répondre aux besoins d’une large variété de couteaux car j’en ai travaillé beaucoup au fil du temps.
DOMA est aussi une boutique de couteaux et de pierres d’affûtage, que j’importe du Japon. L’intérêt de la vente est l’opportunité d’expliquer pourquoi j’ai sélectionné ces produits-là, comment les utiliser, je sais comment ils sont fabriqués, je connais les fabricants. Les couteaux que je vends ont une âme. On retrouve les explications sur le site de vente en ligne (www.affutagecouteaux.com/boutique).
Nous avons aussi des collaborations avec des artisans en France et au Japon, que nous voulons promouvoir à l’atelier en exposant et proposant à la vente leurs réalisations. L’idée est d’échanger, s’éduquer, se transmettre des savoir-faire.
C’est le cas pour ce maître artisan de bois de paulownia. Cette essence est utilisée traditionnellement au Japon pour fabriquer des armoires. Il va réaliser mon nouveau bac d’affûtage, avec des techniques d’assemblage de menuiserie traditionnelle. À la boutique, seront proposés des petits bacs contenant des kits d’affûtage, et des planches à découper.
La co-conception d’un porte-couteaux tablier avec une couturière styliste de la maison Yves Saint Laurent est en cours.
Les nolen suspendus à l’atelier, dont j’ai réalisé le design, sont l’œuvre d’un artisan teinturier japonais qui pratique une technique traditionnelle appelée katazome.
Quels sont les artistes et artisans japonais qui comptent pour vous ?
Quand j’étais à Sakai, je logeais dans une famille qui a fondé une école d’ikebana (Misasagi Ikebana). Leur jardin est magnifique. Le fils, Atsunobu KATAGIRI, compose des œuvres florales extraordinaires dans tout le Japon. Il transcrit la nature qui reprend le dessus. Un de ses projets les plus connus, dont il a fait un recueil photographique, exprime la nature qui revient dans des paysages en friche après la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011.
Il y a un peintre que j’admire au Japon et qui est devenu un ami : O JUN. Ancien professeur à l’université d’art de Tokyo, ses œuvres sont assez nostalgiques. Par ailleurs, il adore manger ! Je le retrouve quand je vais au Japon, et nous partageons de bons repas !
Un livre : « L’éloge de l’ombre » de Junichirô TANIZAKI. Je l’offre à tout le monde. On peut le relire tellement de fois et toujours y trouver quelque chose de nouveau…
Un lieu remarquable qui mérite le détour au Japon ?
La ville de Sakai*, mon 2e berceau, où d’excellents artisans extrêmement respectés fabriquent les couteaux.
Historiquement parlant, Sakai est le site qui a la plus longue histoire attachée à la coutellerie. Sakai a été un des plus grands ports du Japon, offrant au pays une ouverture au monde. On date le point de départ de 6 siècles de réputation des lames forgée de Sakai à l’importation du tabac et la fabrication de machettes pour le couper qui en suivit, puis s’est répandus dans tout le pays. Mais on pourrait même remonter jusqu’au 4e s avec les premiers artisans forgerons, appelés à Sakai pour fabriquer des outils de construction, notamment pour bâtir l’immense tombeau de l’empereur Nintoku, classé au patrimoine de l’UNESCO (3e plus grand tombeau du monde). Beaucoup plus tard, la fabrication d’armes à feu a façonné le savoir-faire des artisans forgerons de Sakai avant de se reconvertir dans la forge de lame de couteau, liée à la culture du thé et la tradition culinaire qui se développe au 16e siècle. Les couteaux se sont diversifiés et ont évolué avec le raffinement de la cuisine à la capitale de Kyoto, proche géographiquement, et progressivement avec la prise en compte des diversités régionales. Aujourd’hui, la fabrication de lames forgées de Sakai reste encore très traditionnelle et on peut entendre en passant dans les rues, le son des forges dans les petits ateliers, souvent installés à côté des maisons, dans les quartiers résidentiels.
* Préfecture d’Osaka
La cuisine japonaise et vous ?
Je suis de Tokyo. Quand j’étais petite, j’allais au Japon pour les vacances d’été, j’y ai vécu ensuite près de 10 ans à l’âge adulte. Parmi les souvenirs d’enfance, il y a les premiers sanma fin août, début septembre, des poissons d’eau de mer qui descendent du nord, c’est le début de l’automne qui arrive, juste avant le départ.
L’été, il fait tellement chaud, qu’on mange des nouilles froides tous les jours. Je suis adepte du soba, autant l’aliment que la culture des sobaya (ndr : lieu où on consomme le soba) : à Tokyo, ils restent ouverts toute la journée, on prend son temps, on boit quelques gorgées de saké, on grignote une omelette, des légumes marinés, et seulement à la fin, les nouilles, froides pour ceux qui aiment vraiment le sarrasin ou chaudes. Quand j’arrive, c’est ce que je mange en premier. Pour moi, ça c’est l’esprit de Tokyo. Dans certains, les yakuzas viennent après que tout le monde soit parti, vers 15 h, leurs grosses voitures stationnées devant, ils avalent des nouilles à toute vitesse et repartent. On peut voir ça dans pas mal de films.
À Paris, on trouve des restaurants qui préparent les nouilles mais il n’y a pas l’ambiance, la culture, la petite dame en kimono, c’est fermé l’après-midi.
J’aime aussi les poissons, et tant d’autres choses…
À Osaka, une spécialité est l’okonomiyaki, mais je préfère la version en strates de Hiroshima, d’où est mon grand-père maternel. À Sakai, il y a une « cantine » très connue, qui propose un buffet : Gin chari qui veut dire le riz d’argent.
En France, on fait venir le saké de Corse, où est implanté le distributeur Midorinoshima(www.midorinoshima.com/fr/). Quand on veut des produits alimentaires un peu pointus, on va chez WorkshopIsse (11 rue Saint Agustin, Paris 2). Pour des objets du quotidien, il y a Bows & Arrows (17 rue Notre-Dame de Nazareth, Paris 3), ouvert par Thierry Lamoine et sa femme Arrow Nakajima. Ils importent notamment des taille-crayons ingénieux dont les prix vont de 4 € à 400 €…
L’Italie dans votre vie ?
Mon nom de famille est italien, hérité de mon grand-père paternel. Je l’ai très peu connu mais j’ai le souvenir qu’on mangeait des pâtes souvent, pour lui faire plaisir !
À Tokyo, New-York (j’étais pâtissière chez Basta Pasta, une institution tenue par des Japonais), j’ai souvent travaillé dans des restaurants italiens. J’estime que ma recette de tiramisù tient bien la route ! Je fais le biscuit moi-même, et deux 2 crèmes distinctes dont un sabayon monté à la main !
En dehors de l’Italie, je pense que c’est au Japon qu’on mange le mieux italien.
À Paris, je fréquente le restaurant, le pastificio et le bar à vin Passerini, à proximité de l’atelier (rue Traversière, Paris 12).
Je vais chez Cédric Casanova pour son huile d’olive (2 rue Sainte-Marthe, Paris 10).
Les mots de la fin ?
À tous ceux qui aiment bien manger, j’affirme : « commencez par un bon couteau » !
Le couteau est un cadeau idéal : il améliore le quotidien en cuisine. Parce qu’il sert à préparer la nourriture, le couteau réunit la famille, les amis.
Au Japon, on offre un couteau à l’occasion d’un mariage, ou quand quelqu’un quitte le nid familial pour s’installer. Il ouvre un nouveau futur : c’est la signification des mariés qui s’unissent pour couper le gâteau.
Le couteau a une valeur sentimentale, il ne se jette pas, il est porteur de l’âme de celui qui a pris soin de le fabriquer, de la personne qui l’a utilisé.
Quand on part quelque part c’est l’outil de survie. Si on doit vivre sur une île déserte, et choisir un seul objet à emporter, ne pas se poser de question, opter pour le couteau !
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