
En France depuis 30 ans, finaliste au concours de meilleur sommelier du Japon à 18 ans, champion de karaté, Hidé est un personnage « unique » comme il le dit lui-même. Cuisinier de formation, originaire du village de Yubari à Hokkaido, il est propriétaire depuis 2005 du restaurant Le Petit Verdot, rue du Cherche -Midi à Paris. Spontané, sincère, il ne manque pas d’humour ni de caractère, et surtout pas de talent.s.
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Quels est votre parcours du Japon à la France ?
Je suis né le 1er avril 1967 (je ne suis pas un poisson d’avril, mais ma vie est tout un programme !) à Hokkaido dans le nord du Japon, dans le village de Yubari. Quand j’étais petit, il y avait 100 000 habitants, aujourd’hui il n’y en a plus que 8 000. Il n’y a pas de travail, les jeunes en sont partis. Je suis allé dans une école culinaire très réputée, et très chère (10 000 € de frais de scolarité à l’année) à Osaka, où j’ai « appris » (façon de parler, que peut-on apprendre en seulement 1 an ?) les cuisines française, japonaise, chinoise, et italienne. De retour à Hokkaido, j’ai été embauché dans un restaurant de cuisine française. Qui dit cuisine française dit vin, et à 18 ans j’ai été finaliste du concours de meilleur sommelier du Japon. Je suis parti pour la France en 1991 à 23 ans, où j’ai été engagé par le chef d’un restaurant doublement étoilé en Bretagne. Un an plus tard, direction Pauillac, où je suis resté 10 ans chez Jean-Michel Cazes (restaurant du Château Cordeillan-Bages). J’y étais chef sommelier quand Thierry Marx a pris la direction des cuisines.

En 2005, vous ouvrez votre propre restaurant à Paris, Le Petit Verdot
Quand j’ai acheté, je n’avais aucune idée de quelle cuisine proposer, ne connaissant pas les attentes de la clientèle du quartier. En 2008, j’ai trouvé ce qui plaisait et ça a marché de mieux en mieux. Le restaurant est bien placé. La cuisine est rustique (encornets ail et persil, pavé de lieu sauce hollandaise, compote de poire et glace au caramel amer…). Les clients viennent pour le vin, la cuisine, l’ambiance, ils se parlent d’une table à l’autre, se partagent les bouteilles de vin. 80 % des clients sont des habitués. Aujourd’hui, je ne suis plus en cuisine, c’est le chef Katsumi NITTA qui choisit les produits, les fournisseurs, je lui fais confiance, il sait mieux que moi. On se connaît depuis 20 ans, on n’a pas plus besoin de se parler pour être d’accord.
La cuisine servie au Petit Verdot a-t-elle une identité japonaise ?
La cuisine japonaise, c’est quoi ? Un plat avec de la sauce soja ? Si je cuis un poisson au four, assaisonné avec un peu de sel et de poivre, est-ce que c’est de la cuisine française, japonaise, italienne ?!! La cuisine française n’est pas uniforme mais régionale : choucroute, cassoulet, bouillabaisse… La cuisine italienne, c’est pareil : celle du nord, du sud ? Au Japon, les techniques de découpe du poisson ne sont pas les mêmes à Tokyo et à Kyoto, à Hokkaido, on cuisine d’une certaine façon, à Tokyo centre-ville autrement… Est-ce qu’un plat est italien parce qu’il y a de l’huile d’olive, japonais quand il y a de la sauce soja, et français quand il y a de la crème ?!!
On trouve peu de produits laitiers au Japon, donc on n’en utilise pas en cuisine, c’est un fait. La grosse différence, selon moi ?
Les baguettes. Il faut préparer des petits morceaux en cuisine, alors qu’en France on peut servir le steak entier car il y a les couverts pour le découper à table.
Du poisson cru et de la sauce soja, ça va bien ensemble, j’ai compris, mais je ne suis pas grand amateur de sauce soja. En France, il y a une grande variété de produits de qualité, inutile de les maquiller, y compris avec de la sauce soja.
Est-ce qu’on cuisine des ingrédients typiquement japonais ? Non, seulement des produits locaux. Sushi et tempura ne me manquent pas. Foie gras, caviar ? Non, trop chers. Je préfère des produits très simples.
Votre cave est très prisée…
Il y a environ 300 étiquettes à la carte, peut-être 500 en cave, il n’y en a jamais trop ! Certains clients demandent pourtant ce que je n’ai pas ! Alors que ce que j’ai, tout le monde le cherche ! Les propriétaires des domaines où je prends les vins sont des amis, ils me réservent des bouteilles. J’achète ce que je connais, ce que mes amis aiment. Difficile d’avoir de nouvelles références, durant la pandémie ceux qui ont de l’argent ont épuisé les stocks et fait flamber les prix. Je suis content pour les producteurs. Mais par exemple, il n’y a plus de réserves de whisky au Japon, ils se vendent aux enchères. Alors quand j’ai vraiment envie de goûter un vin, je prends une bouteille chez le caviste pour ma dégustation personnelle. Zéro vin italien à la carte même si j’en ai en cave, je n’ai pas les connaissances ni les compétences.
Votre rapport à la cuisine italienne ?
J’avais 7 ans, la mère d’un copain m’a servi mon premier plat italien et mon premier plat surgelé : une pizza ! Je ne savais pas ce que c’était ! Mon premier souvenir de l’Italie est plus réussi, c’était en 1996, les restaurants, les vignobles, c’était magnifique. À cette époque là, il était impossible de trouver du parmigiano reggiano à Paris. La cuisine italienne a ceci en commun avec la cuisine japonaise, qu’elle est simple, on ne peut pas cacher les défauts. Elles ont aussi de commun la cuisson al dente, même si pour les clients français, ça n’est souvent pas assez cuit. J’adore la pasta, les ramen c’est pareil. Je ne fréquente aucun restaurant italien à Paris. Sauf le George, le seul étoilé Michelin où je vais, une fois par an. Je connais toute l’équipe, ils viennent souvent chez moi, c’est très très bon mais très raffiné, je préfère la cuisine rustique. Deux Japonais sont les bras droits du chef.
Vos rapports avec le Japon ?
À Hokkaido où j’ai grandi, il y a beaucoup de poisson cru, qui coûte trois fois moins cher qu’ailleurs, parce que la région n’est pas riche économiquement. Les meilleurs produits partent à Tokyo. Enfant, je mangeais des œufs de poisson cuits, du saumon mariné au sel cuisiné avec les légumes du moment, pas de thon parce qu’il était cher et réservé aux parents. Ma mère cuisinait simplement. La baleine était pour les pauvres, 1€ la barquette de 300 g, la chair est très sucrée, je trouvais ça bon parce que ça me remplissait le ventre. La viande de bœuf, trop chère. Le poulet et le porc, oui. Beaucoup de pommes de terre, cuites à la vapeur.
Le karaté est tout ce qui me reste du Japon, j’ai commencé quand j’avais 7 ans et je le pratique tous les week-ends. Je n’ai pas changé de nationalité et j’aime le Japon, mais l’été il y fait trop chaud, et l’hiver je travaille, le voyage dure 10h, je n’ai pas le temps d’y aller. Je ne m’y suis pas rendu depuis 11 ans. Si je partais demain, je ne saurai pas où me diriger, sauf au dojo le plus proche. C’est ce que j’ai fait la dernière fois en sortant de l’aéroport !

Le Petit Verdot
75 rue du Cherche Midi – Paris 6e
Tél. : 01 89 33 81 18