
Avec plus de 20 boutiques entre Paris, Lille et Tokyo, maison Landemaine et Land & Monkeys sont l’œuvre de deux partenaires à la ville comme en affaires : Yoshimi et Rodolphe Landemaine. Peu médiatisée en France, Madame Landemaine, d’abord sympathique et énergique, et aux talents multiples, gagne à être connue…
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Qui êtes-vous Yoshimi ?
Je suis Japonaise, originaire de Hiroshima. J’ai 4 enfants. Je suis une artiste et une femme d’affaires.
De l’âge de 3 ans, jusqu’à 25 ans, j’ai joué du piano et de l’orgue électrique. Mon rêve était d’être musicienne professionnelle. J’ai fait beaucoup de concerts, des concours. J’ai été professeur de musique chez Yamaha pendant 1 an.
J’ai étudié l’alimentation durant 2 ans à l’université.
A 21 ans, je me destinais à travailler avec mon ex mari dans l’entreprise familiale de légumes en saumure. Pour cela, j’ai voulu apprendre la fermentation naturelle. Bien m’en a pris ! Impossible de retourner à l’université à Tokyo avec deux enfants en bas âge. Seule solution que j’ai trouvée à Hiroshima, par le plus absolu des hasards : une école de boulangerie ! Les cours ont duré 3 ans. Ensuite, j’ai créé 2 écoles de boulangerie et ouvert une boutique.
Puis ma vie a connu une période de grosses turbulences : arrêt de toutes mes activités, divorce…
Les événements m’ont permis de prendre conscience de ma force de caractère.
En 2002, nouveau départ. C’est là que je suis venue en France, pour un stage de 3 mois dans une boulangerie. Je suis retournée au Japon pour le renouvellement de mon visa et depuis, ma vie est ici.
La peinture occupe aussi une place importante dans ma vie, il y a 25 ans que je peins et depuis 5 ans, j’estime pouvoir prétendre être une artiste.
C’est moi qui fais tous les dessins sur le site internet de maison Landemaine, sur les boîtes pour la pâtisserie. Pour la fin d’année un calendrier de l’Avent sera proposé, que j’ai imaginé et dessiné.
Faire du pain aussi est très créatif, très artistique.
J’aime entreprendre, créer. J’ai toujours plein d’idées.


Quel est votre rôle au sein de maison Landemaine et Land & Monkeys ?
Nous avons créé maison Landemaine fin 2007. Pendant 8 ans, j’étais tantôt derrière la caisse, tantôt au bureau avec mon assistante, pour faire la comptabilité, gérer les ressources humaines… Les choses ont changé avec la création de maison Landemaine Japon. Je vais 3 à 4 fois par an sur place, toutes mes activités en France ont été déléguées.
Bien qu’étant la patronne, je suis encore beaucoup derrière la caisse ! Je passe dans 2 à 3 boutiques par jour, en vélo, j’en profite pour repérer d’éventuels dysfonctionnements et y remédier. Je fais toutes les ouvertures de nos boutiques en France. Je me consacre à la R&D avec mon mari Rodolphe, au travail de production avec les équipes de pâtisserie et de boulangerie de maison Landemaine et Land&Monkeys.
Vous êtes le pilier du développement au Japon ?
Nous avons décidé de développer l’activité au Japon en 2010. Créer une école de boulangerie-pâtisserie à Tokyo s’imposait, pour réaliser le rêve auquel j’avais renoncé douloureusement plus jeune. En 2018, l’école a été fermée, transformée en lieu de production pour les points de vente Landemaine Tokyo (4 boutiques à ce jour). Il me fallait aussi un laboratoire pour faire des démonstrations : c’était l’occasion d’ouvrir la 1re boulangerie, en 2015.

Votre activité va au-delà des boulangeries ?
L’entreprise Yoshimi boulangerie international a été créée il y a 15 ans. Elle permet à des Japonais d’aller faire un stage en France (et depuis peu à Taïwan et Shanghai) en boulangerie, pâtisserie, chocolat, café, art. On s’occupe des conventions de stage, de leur trouver un logement sur place.
Dans un autre registre, en qualité d’ambassadrice de la farine de riz japonaise Komeko, je donne des conférences, je fais des démonstrations.
Cette année, ont été tournées les émissions du Meilleur pâtissier du Japon qui seront diffusées en 2022, je suis membre du jury. C’était une expérience très sympathique.
Vous êtes déterminée comme l’était votre père ?
Il était délégué national du syndicat de la compagnie japonaise équivalente à la SNCF. Il se consacrait à la défense des droits des salariés. Il est mort à 85 ans, c’était une personne très forte. Lui seul me comprenait quand j’étais jeune. Il a été préfet de Hiroshima. J’aurais pu prendre sa suite, car j’ai hérité de sa mentalité de personnage politique, mais à mon époque, il était peu envisageable qu’une femme s’engage dans une telle carrière au Japon. Aujourd’hui c’est courant. Dans une prochaine vie, je serai femme politique !
Y a-t-il des influences japonaises dans votre quotidien ?
A la maison, il y a beaucoup de cuisine japonaise, surtout depuis que nous sommes véganes. La mentalité japonaise se retrouve chez Maison Landemaine et Land & Monkeys : rigueur, bon accueil, douceur, des employés sont d’origine japonaise, le Japon s’affiche dans l’enseigne « Maison Landemaine Paris-Tokyo ». La proposition salée comporte un Tokyo Bowl, veggie, sans gluten.
L’année dernière le thème pour les pâtisseries des fêtes de fin d’année était Zen : on a travaillé la pâte de haricot rouge (azuki), le yuzu, le gâteau de nouvel an était l’entremet jardin zen conçu esthétiquement comme un jardin japonais. Pour les fêtes de fin de cette année, le thème est les 4 saisons de sakura, décliné visuellement en 4 bûches pour chacune des saisons, dont une comprend comme ingrédients de la pâte de haricot blanc et du thé de sakura, repris aussi dans le gâteau de nouvel an et illustré par 4 fèves rappelant chaque saison pour les galettes.
Y a-t-il une spécialité culinaire à Hiroshima ?
L’okonomiyaki. Il y a 2 écoles pour le préparer. A Osaka, tous les ingrédients sont mélangés, tandis qu’à Hiroshima, ils sont disposés en strates : nouilles, légumes, œuf, viande…, on met ce qu’on veut. A Hiroshima, on grandit avec sa boutique d’okonomiyaki, comme les boulangeries en France, il y a un magasin tous les 500 mètres. On en mange 2 à 3 fois par semaine, c’est un repas. A Osaka, c’est différent, on va au restaurant pour en manger. L’okonomiyaki, c’est ma « soul food * ».
*nourriture de l’âme
Une adresse au Japon pour goûter cette spécialité ?
Okonomi-mura (qu’on peut traduire par le village de l’okonomiyaki) à Hiroshima. C’est un grand immeuble dans lequel il n’y a que des boutiques d’okonomiyaki. C’est un passage obligé !
L’okonomiyaki a pour origine les galettes de farine de blé, que se procurait la population au marché noir auprès des Américains après la 2e guerre mondiale. D’ailleurs le style des échoppes à l’Okonomi-mura évoque l’idée de marché clandestin.
Avez-vous une adresse culinaire fétiche à Paris ?
Le marché des Batignolles où je fais les courses toutes les semaines, je discute avec les producteurs. Depuis que nous sommes véganes, je vais beaucoup moins au restaurant. Mon intérêt est désormais tourné vers la nature, l’art.
Avec un de mes fils, nous allons ouvrir à Paris dans le quartier du Marais, une cantine végane pour le déjeuner : Tsukemono (qui signifie légume fermenté). Spécialiste de la fermentation naturelle des légumes, qu’il a étudiée à l’université de Tokyo pendant 5 ans, il est aussi pâtissier et sait faire le tofu maison, autant de spécialités qui seront proposées sur place ou en bento à emporter.
Un lieu auquel vous êtes attachée ?
Mon atelier de peinture et les fournils dans nos boulangeries.
Des références artistiques à Paris ou en France ?
L’artiste peintre Ilan Parienté, que j’ai découvert en suivant des cours à l’académie de la Grande Chaumière où il anime des stages.
L’artiste Juliette Savaëte, elle m’a ouvert l’esprit, a libéré ma créativité, m’a révélée à moi-même artistiquement.
Le peintre Guillaume Lebelle, son œuvre est très émouvante.




Une suggestion de lecture ?
L’écrivain japonais Asada Jiro. En particulier le roman Mibu Gishi Den, sur la vie d’un maître de katana, à la fin des samouraïs, au 18e s.
Quel est votre rapport avec la cuisine italienne ?
Les Japonais l’adorent, ils mangent souvent italien : les légumes, le riz, les produits frais…
Je préfère la cuisine italienne à la cuisine française !
Une adresse de cuisine italienne au Japon ?
A Hiroshima, le restaurant Libero de mon ami. Sans lui je ne serais pas venue en France ! Il a vécu plusieurs années en Italie pour se former à la cuisine italienne. Je l’ai rencontré quand j’avais ma boulangerie à Hiroshima, je le fournissais en pain. Il est aussi sommelier, alors le vin est bon également. Un des meilleurs restaurants italiens du Japon !
Une adresse de cuisine italienne en France ?
Le restaurant italien du George V (à Paris), mon ami japonais y est sous-chef.
Les mots de la fin ?
Je suis très satisfaite de ma vie en France, je m’y sens bien, libre.
Je me sens de plus en plus sereine, heureuse, je n’ai aucun regret, je suis mon destin, mon intuition, j’ai trouvé ma voie, ma place, je n’ai plus rien à (me) prouver…
Une seule chose me manque : l’okonomiyaki !!!

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