Alessandra PIERINI fête ses 30 ans d’épicerie italienne

Alessandra PIERINI (© Alessandra Pierini)

Originaire de Gênes, de culture gastronomique géno-émilienne, Alessandra est arrivée dans le sud de la France il y a 35 ans, avant de prendre la direction de la Capitale en 2010. Elle partage ses souvenirs et coups de cœur culinaires et culturelles, entre Italie et France, avec une échappée japonaise. 

Pour découvrir Matthieu MORI (Mori Venice bar et Armani Ristorante) : ici.

Où sont tes racines ?

Je viens de Gênes, en Ligurie, la plus belle ville du mode, où j’ai vécu jusqu’à 21 ans.

Ma mère est originaire de Parme, mon père de Gênes, où maman est arrivée à 16 ans.Ils ont été fiancés pendant 10 ans, puis ils se sont mariés et je suis née.

Nous vivions à Gênes, et notre maison de campagne était à Vesta (Émilie-Romagne) où nous allions l’été, et où mes parents vont toujours.

Où et quand débute ton aventure française ?

En 1987. Le lendemain de mon mariage, je suis arrivée à Coudoux, dans la campagne d’Aix-en-Provence. Je ne parlais pas un mot de français. Je ne sortais que pour faire les courses au marché une fois par semaine, et à l’épicerie. Je prenais le dictionnaire et j’écrivais en français, la liste de ce que je voulais acheter. Mes voisines m’ont appris à cuisiner provençale. Il y en avait une, que j’appelais mamie (elle devait avoir 70 ans, moi 21)qui me donnait des fruits et légumes de son jardin, des tartes, de la pompe à l’huile à Noël. Quand j’allais en Italie, je lui rapportais des ingrédients. Ensuite, avec mon fils, j’ai fait connaissance des parents de ses camarades. Je leur rapportais trofiepesto frais d’Italie… mais j’ai fini par être tellement chargée que ça ne pouvait pas continuer comme ça !

Puis c’est le début de l’aventure marseillaise…

J’ai repris une épicerie italienne de Marseille en 1992. Un an plus tard, la réserve était transformée en salle de restaurant. 

J’ai fait des allers-retours tous les 15 jours, pendant 15 ans, pour m’approvisionner, entre la France et Vintimille, Imperia, jusqu’à Gênes. C’était pittoresque, très chouette, j’étais la reine du monde ! Je partais le dimanche après-midi, sur place je faisais les boutiques, je prenais une chambre toujours dans le même hôtel, je mangeais une pizza et le lendemain matin, direction le marché de Vintimille, le plaisir de la focaccia avec le fromage… Je n’avais pas l’impression de travailler, c’était les vacances. 

Tout le monde me connaissait jusqu’à Bordighera, Sanremo, ils s’enthousiasmaient : « ah, le camion pasta& dolce, la dame qui vient de Marseille ». Les artisans m’attendaient à n’importe quelle heure, me retrouvaient sur un parking, certains étaient dans le Piémont, on se donnait rendez-vous sur l’autoroute. Ils m’ont toujours beaucoup aidée, leur disponibilité était totale, tous me donnait de quoi manger pour le voyage du retour.

Pour rentrer en France, la camionnette était pleine à craquer de victuailles, je mettais des tendeurs pour empêcher les portes à l’arrière de s’ouvrir, les sièges à l’avant étaient encombrés de produits…

Je rapportais des pâtes fraîches, des légumes, des pâtisseries, le panettone à Noël.

Passée la frontière, la route est monotone, j’avais un coup de barre, mais je savais que j’allais tout déballer, c’était l’euphorie, et j’avais déjà hâte d’y retourner.

Alessandra PIERINI (© Carole Gayet)

20 ans plus tard, l’arrivée à Paris…

Le changement de pays n’a pas été un traumatisme, à Coudoux je m’ennuyais un peu au début, j’avais envie d’aller en Italie, mais je n’étais pas triste. J’étais un peu une star, tout le monde me connaissait, ils m’appelaient « l’Italienne », parlaient de « la maison des Italiens ».

Mais du jour où j’ai été dans mon magasin à Marseille, je n’ai plus voulu en partir !

Jusqu’à ce jour d’avril 2010, où une femme a frappé à ma porte pour me l’acheter…

Évidemment, je n’étais pas vendeuse.

J’en ai parlé à mon comptable sur le ton de l’anecdote. Il m’a répondu que c’était la chance de ma vie, et m’a demandé s’il n’y avait pas une autre ville en France où je voudrais aller.  « Si, Paris… ». 

La vente de Marseille a été signée le 15 juin 2010 et le lendemain j’étais à Paris !

La folie de ma vie ! J’ai emprunté une somme énorme, que je n’ai fini de rembourser que tout récemment. Tout a été investi dans le local de la rue Rodier. 

À Marseille, c’était une épicerie avec un restaurant. À Paris, on est partis sur un restaurant avec une épicerie. L’épicerie était en quelque sorte la réserve du restaurant. Le cuisinier originaire de Venise, qui travaillait à mes côtés depuis 1 an et demi, m’a suivie. Il nous fallait un sommelier, et c’est Giovanni, de La cantina à Venise, qui est arrivé. 

Puis déménagement 4 ans plus tard, de la rue Rodier à la rue Fléchier. Le repreneur du restaurant a frappé à ma porte en juillet 2014, la vente était formalisée à l’automne. Je repartais sur l’épicerie exclusivement. Puis fin 2018, ouverture de la cave, quasiment mitoyenne.

Ta madeleine de Proust ?

La focaccia de Gênes. Ma mère la rapportait fraîche, quand elle allait faire les courses, elle en est elle-même très gourmande.

Une adresse où déguster cette focaccia ?

Panetteria Casana à Gênes (Vico della Casana 17R), celle que je fais à la maison, que fait Maurizio (Maurizio Pinto, restaurant Voltalacarta, Via Assarotti 60/Rosso, Gênes). J’ai partagé ma recette dans On va déguster l’Italie.

On ne la trouve nulle part à Paris, ce qu’on trouve ressemble davantage à celle des Pouilles, très épaisse.

D’autres gourmandises ?

J’ai toujours eu une double culture, notamment culinaire. À Gênes, on mangeait géno-émilien, et à la campagne à Vesta, émilien seulement : torta fritta[1], charcuterie (jambons, mortadelles),tortelliTorta fritta et tortelli, sont des incontournables aussi pour mon frère et mon fils. Pour son anniversaire, mon frère demandait toujours torta fritta e tortelli !

Vesta, c’était le jardin, les châtaignes, les champignons, le souvenir d’avoir vécu dehors, la polenta sur le feu dans le jardin, en octobre-novembre, on tuait le cochon, les fêtes de fin d’année avec les cousins, la joie de la torta fritta au goûter dehors, qu’on accompagne de tout ce qu’on veut, les tortelli exceptionnels que faisait ma mère. Je revois ce gros saladier, et l’écumoire qui sortait les tortelli après 2 minutes dans l’eau, nappés de beurre au lait cru qui fondait doucement et de parmesan, un peu de jus de viande, puis une autre couche…Avec mes cousins et mon frère, on faisait la compétition à qui en mangerait le plus, jusqu’à 30 ! On les mettait par dizaines dans nos assiettes, on avait le ventre tellement plein, qu’on ne pouvait même pas avaler la glace avant 2-3 heures après, qu’on allait chercher à pied dans le village voisin.

Une adresse où manger des tortelli capables de rivaliser avec ceux de ta maman ?

La trattoria Da Vigion à Vestola-ghiare (le propriétaire s’appelle Luigi) où on mange comme à la maison. Nous n’y allions jamais quand on était petits car maman les préparait, mais maintenant elle fatigue parfois à les faire. Elle compose la farce de pomme de terre, ricotta, parmesan et blettes. À Parme, on utilise d’autres légumes, et le résultat n’est pas à son goût ! Elle ne pèse rien, mais je lui ai demandé d’écrire ses recettes dans un carnet, pour qu’on ne les oublie pas. Si j’ai le temps, il peut m’arriver d’en préparer pour Noël chez mon fils. 

Ton ingrédient favori ?

J’adore le citron, le zeste, le jus, il est l’ingrédient caché qui sublime bien des préparations.

Est-ce qu’on retrouve dans ta boutique des spécialités qui rappellent tes racines ?

De Gênes : trofiecrosettipasta genoevse, et autres spécialités génoises.

D’Emilie-Romagne : les charcuteries, le miel de Corniglio avec lequel est encore préparée dans l’épicerie du village la spongata de mon enfance, avec les noix et noisettes de leur jardin.

Un conseil de lecture ?

Tous les livres de culture gastronomique !

J’adore Erri de Luca, chacune de ses phrases est porteuse de significations chargées en puissance spirituelle. Mention spéciale pour MontedidioTroischevaux et Le poids du papillon. Quand il parle de cuisine, comme la melanzana alla parmigiana, je me dis que j’aurais aimé écrire comme lui. Je cherche toujours une phrase, que je peux faire mienne dans ses livres. Il réussit à définir en peu de mots, des états d’âme que j’ai du mal à exprimer, ou dont je n’ai parfois même pas conscience avant de les lire.

Des lieux à découvrir en Italie ?

Porto Venere au pied des Cinque terre, c’est magnifique, mais touristique.

En Émilie-Romagne, dans les Appennins, Bosco di Corniglio, un village dans les bois. L’été c’est un village de montagne superbe, avec un très beau marché, et l’hiver, c’est idéal pour des vacances reposantes à la neige, faire du ski, sans être isolé.

Quelques mots sur ton ex mari, qui était pionnier dans la fabrication de fromages italiens en France ?

En 1985, Paolo a créé la première fromagerie italienne en France. Il fabriquait la mozzarella, le caciocavallo, la ricotta, que personne ne connaissait à l’époque. Il était aussi un des rares à faire de la brousse provençale. Il sillonnait le Gard, les Alpes, tout le sud de la France pour vendre aux épiceries, fromageries, restaurants, camions pizza, fromagers ambulants des marchés. Il faisait aussi de la vente aux particuliers en camion ambulant dans les villages. La fromagerie a été vendue à la fin des années 1990.

Est-ce que tu as des affinités avec la culture japonaise ?

J’adore la cuisine japonaise dont les saveurs se retrouvent dans la cuisine italienne de bord de mer : iodé, umami, aigre, amer, les contrastes poisson-viande, le foie de lotte…c’est une cuisine toujours dans la finesse, il n’y a jamais de plats trop chargés. Elles ont aussi en commun les bouillons.La cuisine italienne est basée sur le bouillon, même quand on ne le voit pas : le risotto, les fonds de viande, les minestrine, les spécialités servies avec un bouillon pour Noël, les ragoûts de poisson, la pasta coi fagioli (pâtes et haricots secs), la pasta maritata, la minestra d’autrefois à la cuiller…Les agrumes sont aussi très présents dans les deux cultures.

Des ingrédients japonais qui ont tes faveurs ?

J’utilise le miso (monsieur Kuroda de Workshop Issém’en réservait) et la sauce soja.

A l’épicerie Workshop Isse (11 rue Saint Augustin, Paris 2), je prenais aussi le thon séché, dont la saveur évoquela poutargue que j’apprécie tant.

J’adore le yuzu. Dernièrement, j’ai pris de la confiture de yuzu à l’épicerie Nishikidori (6 Rue Villédo, Paris 1).

Il y a aussi ces nouilles magnifiques servies dans les bouillons (ramen), que j’aime beaucoup.

Quand ma boutique était rue Rodier, j’allais au restaurant Hotaru (18 rue Rodier, Paris 9), le père était venu du Japon, une vingtaine d’années plus tôt. 

Pour les pâtisseries, je me sers chez Tomo (16 Rue Grégoire de Tours, Pari 6) pour ce biscuit en forme de poisson (taiyaki), à la boulangerie Aki (16 Rue Sainte-Anne, Paris 1), et à la maison du mochi (39 Rue du Cherche-Midi, Paris 6).

Le mot de la fin/faim ?

Parmi toutes les plaques de focaccia en vitrine dans les magasins de Gênes, on choisit à l’œil : je l’aime bien cuite, onctueuse, moelleuse, avec un bord croustillant, huileux juste comme il faut (à 4000 calories !!!). « Pour emporter ou pour manger tout de suite », vous demande la personne qui vous la sert, car l’emballage est différent selon la réponse, c’est une façon de vivre…


[1]Beignets de pâte frite qui accompagnent charcuteries et fromages

Alessandra PIERINI (© Carole Gayet)

Épicerie RAP

4 rue Fléchier – 75009 Paris

http://www.rapparis.fr

Cave RAP

61 rue du faubourg Montmartre – 75009 Paris

http://www.rapparis.fr

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