
À à peine plus de 30 ans, Matthieu Mori a rejoint l’univers familial de la gastronomie italienne à Paris récemment. Assez pour marquer de son engagement personnel le développement de l’activité : donner de la visibilité au travail artisanal des petits producteurs qui fournissent les pépites culinaires du Mori Venice bar et de l’Armani Ristorante, préserver les ressources marines, limiter la pollution (éviter le plastique, les déchets, approvisionnement de proximité…). Si le sang qui coule dans ses veines est 100 % italien, Matthieu Mori a toujours vécu en France. Rencontre avec ce pur produit italien, poussé sur le sol français.
Pour découvrir Alessandra PIERINI (épicerie et cave RAP) : ici.
Où sont vos racines ?
Mon père est né en Italie à Parme (Émilie-Romagne), ses parents d’origine vénitienne, habitaient à Viadana[1](Lombardie, entre Parme et Mantoue). Ma mère est née en France, où ses parents italiens (de Civate, village de montagne près du lac de Côme, à côté de Lecco, en Lombardie) ont immigré. Tous les étés, nous faisions le tour de la famille en Italie. Après le décès de ma grand-mère paternelle l’année dernière, ça sera différent car elle était le socle commun qui nous unissait tous.
Je me sens très italien mais aussi très français. J’ai des affinités particulières avec ma famille maternelle, car nous avons cette double culture franco-italienne en commun.
Je ne corresponds pas aux représentations que les Français ont des Italiens : j’ai le tempérament des Lombards, moins latin que dans d’autres régions, et je suis blond aux yeux bleus.
Votre personnalité culinairement parlant ?
J’ai hérité de la cuisine française par ma mère (blanquette, rillettes…), car à la maison, c’est elle qui cuisinait.
La cuisine italienne était incontournable dans nos restaurants1. Du côté de mon père, j’ai aussi beaucoup de souvenirs culinaires en Italie. Ma madeleine de Proust : de la focaccia (au saindoux, et pas à l’huile d’olive) avec du jambon cru et du jambon cuit, au petit-déjeuner chez ma grand-mère.
Vous avez rejoint le giron familial de la restauration…
Après des études en école de commerce, j’ai travaillé dans la veille media puis le recyclage des déchets. Rentrer dans les affaires familiales était un projet à court-moyen terme, ce que j’ai fait en 2016, lors de la transformation du café Armani en café-restaurant. Mon père est restaurateur, issu de l’école hôtelière, il était satisfait que je prenne en charge la gestion, avec laquelle il n’est pas à l’aise. Il m’a fallu comprendre le métier, trouver ma place. J’ai développé le site Internet pour la vente à emporter et la vente en ligne de produits d’épicerie, activités qui se sont imposées avec la crise sanitaire. Étendre la démarche liée à la protection de l’environnement (réduire les déchets, produits de la mer issus de la pêche durable, approvisionnement de proximité pour les légumes…) est très important pour moi.
Quelques mots sur la cuisine du Mori Venice Bar et de l’Armani Ristorante
Au Mori, on trouve une cuisine du nord-nord-est de l’Italie (Émilie-Romagne, Lombardie, Trentin, Vénétie, le long du delta du Pô) : vitello tonnato, grand classique piémontais, revisité à la vénitienne, linguine aux vongole, granceola (araignée de mer), tartare de bar, risotto à l’encre de seiche, moecche en saison (crabes de la lagune vénitienne), castraure de sant’Erasmo (bourgeons d’artichauts)…
À l’Armani, la carte comprend les grands classiques italiens, avec beaucoup de spécialités à base d’ingrédients de Sicile, car le chef Massimo Tringali est sicilien : huile d’olive, dont une parfumée à la fleur de pistachier, en partenariat avec la petite productrice qui nous fournit les pistaches de Bronte (architecte à Milan, elle a choisi de se reconvertir), le pesto et la crème de pistache (utilisée pour les glaces des 2 restaurants), sel des marais salants de Trapani, origan et câpres de Pantelleria…

Chemin faisant, vous vous êtes pris au jeu…
Au début, j’étais focalisé sur la gestion, aujourd’hui j’ai besoin de connaître l’histoire du producteur, la manière dont il travaille, le produit prend alors beaucoup plus de sens. Massimo (Tringali) adhère totalement à cette approche. Le chef du Mori Venice Bar, Matteo Cattaneo, est très attaché à l’origine des produits, il travaille très bien les légumes. J’aimerais développer la partie blog du site Internet pour parler encore davantage des producteurs, des produits. La majeure partie des ingrédients cuisinés, sont proposés dans notre épicerie sur place et en ligne.
Une adresse culinaire italienne en France ?
Pour la cuisine italienne, je ne vais pas ailleurs que dans nos restaurants.
Adriano Farano pour le pain, nous partageons une même dynamique, une sensibilité semblable aux produits.
Une adresse culinaire en Italie ?
Cocchi à Parme (Viale Antonio Gramsci, 16/A), ils font le chariot de bollito[2] (cotechino, musetto…), la polenta. J’ai un lien affectif avec cette cuisine…
Piazza Duomo à Alba (Piazza Risorgimento, 4), restaurant 3 étoiles du chef Enrico Crippa, qui a son propre potager.
Vos ingrédients italiens préférés ?
L’huile d’olive sicilienne de récolte anticipée (au lieu du beurre au petit-déjeuner), j’ai un lien affectif avec le monsieur qui la produit.
La mostarda mantovana[3]avec le cotechnio, le musetto, c’est le top. Ça me rappelle des souvenirs d’enfance, et j’adore le mariage sucré-salé. Inconnue en France, elle est servie et très appréciée au Mori, avec le jambon cru Massimo Spigaroli.
La pistache de Bronte, dans toutes ses déclinaisons.
Des sites en Italie pour lesquels vous avez eu coup de cœur ?
La zone géographique du lac de Côme a ma préférence, peu touristique, protégée. Si je devais m’installer en Italie, c’est là que j’irais.
Mon 2e coup de cœur va aux Langhe (Piémont), tous les petits villages aussi beaux les uns que les autres, le paysage vallonné, les vignes à perte de vue, où sont produits tous les vins comme les Nebbiolo, Barbera d’Asti, Barbaresco, et spécialement Barolo, le village est un peu perché, avec un vieux château, plein de petits restaurants, de caves, le musée du bouchon. Le Piémont est riche en termes culinaires : les vins, la truffe blanche d’Alba, les noisettes, le vitello tonnato.
J’aime aussi Lecco (Lombardie).
Il y a aussi Venise, le pont du Rialto, le sud de la ville, côté Giudecca, moins touristique, plus reposant, Burrano est sublime, avec ses petites maisons colorées. Les éclairages et décorations en verre de Murano au Mori sont de Monsieur Aristide Najean, un artiste de Burrano. J’aimerais visiter l’île de saint Erasme. Venise procure la sensation d’être sur une autre planète avec la circulation en bateau, toutes ces ruelles, et ce petit déchirement quand on part, avec le retour à la dure réalité…
Parme m’est chère parce que j’y ai des attaches familiales.
J’apprécie la Sicile pour le côté culinaire, les petits producteurs.
Récemment, j’ai découvert les Apennins du centre de l’Italie, une zone très peu touristique, gastronomique (truffe, porc, lentilles…). A Castelluccio di Norcia (Ombrie), il y a plein de petits restaurants qui servent des lentilles avec de la saucisse. La ville de Norcia (Ombrie) détruite par les tremblements de terre m’a impressionné.
Ascoli (Marches) est une très belle ville, j’y ai découvert les olives ascolane[4].
Labro (Latium) est un petit village magnifique, en pleine nature, entre Toscane, Ombrie, et Marches.
En Italie, même dans un petit village isolé, on trouve toujours 2 ou 3 restaurants, 1 caviste, il y a de la vie.
Avez-vous des affinités particulières avec le Japon ?
J’adorerais y aller. La cuisine japonaise est celle que je consomme le plus après la cuisine italienne, mais j’en ai une connaissance limitée. J’aime les aubergines au miso, la soupe miso, le poisson cru. Je trouve remarquable le raffinement du travail du produit, de l’esthétique dans l’assiette, de la vaisselle, de la manière d’être des Japonais.
Une adresse culinaire japonaise à Paris ?
Je fréquente Orient Extrême (4 rue Bernard Palissy, Paris 6), dans le quartier Saint Germain, et Soma (13 rue de Saintonge, Paris 3).
Les mots de la fin/faim ?
Il ne s’agit pas seulement de nourrir les gens, mais de créer un lien entre les producteurs et les clients, ce dont ils sont demandeurs.

Mori Venice Bar
27 rue Vivienne
75002 Paris
Armani Ristorante
7 place du Québec
75006 Paris
[1] Frontalier de Brescello, la ville de Don Camillo
[2] Spécialité des fêtes de fin d’année en Italie
[3] Morceaux de coing confits dans un sirop aromatisé à l’essence de moutarde.
[4] Olives farcies de viandes hachées, panées et frites.