
Chef triplement étoilé en Italie, on peut désormais retrouver Niko Romito et sa cuisine à Paris, au restaurant du Bulgari Hôtel. Originaire de l’Aquila, dans les Abruzzes, c’est dans cette province qu’il a repris le restaurant de son père, alors qu’il se destinait à faire carrière dans la finance. Les Abruzzes ne constituent pas seulement son point de départ mais aussi son point de repère. Cette région qui l’a vu naître et grandir continue de nourrir son inspiration et de garnir les plats qu’il conçoit. À Paris, il souhaite raconter son idée de la cuisine italienne : authentique, identitaire et contemporaine. Une cuisine qui n’a pas son pareil pour provoquer la joie et instaurer la familiarité.
Pour faire connaissance avec Matthieu MORI (Mori Venice Bar, Armani Ristorante & Caffè) : ici.
Comment la cuisine s’est-elle invitée dans votre vie ?
Par pur hasard ! Comme tout diplômé en économie et commerce, âgé d’une vingtaine d’années, je rêvais d’une carrière dans la finance, j’ai toujours aimé les chiffres, étudier les modèles entrepreneuriaux, je suis fasciné par les variables économiques.
Mais parfois, la vie choisit à notre place… Je passais les examens pour décrocher mon diplôme quand mon père a disparu. Il avait un restaurant à Rivisondoli, le village dans les Abruzzes où je suis né. J’y ai vécu jusqu’à l’âge de 13 ans avant de déménager à Rome pour les études secondaires et universitaires. J’avais pourtant décidé de le vendre, mais… peut-être qu’inconsciemment j’ai toujours eu la passion pour ce travail, elle s’est manifestée lorsque j’ai pénétré dans les cuisines de mon père, pour ne plus les quitter.
Qu’est-ce qu’il vous semble important de connaître de vous pour saisir votre approche de la cuisine et de l’hospitalité ?
La passion est l’ingrédient fondamental pour aborder n’importe quel métier avec satisfaction, mais elle ne s’autoalimente pas. La curiosité, l’envie de comprendre les façons de procéder dans leur détail, de trouver des réponses aux questions, et des solutions aux problèmes, sont indispensables pour alimenter la passion pour qui son métier est toute sa vie, comme c’est mon cas.
Je suis autodidacte. J’ai construit mon propre langage gastronomique, avec un long processus d’étude et de recherche, mais pour le mener à bien il m’a fallu comprendre mes racines en profondeur.
Rester dans les Abruzzes a été un choix difficile. J’ai souvent raconté à quel point les deux premières années au restaurant avaient été difficiles, je m’obstinais à faire une cuisine élaborée, mais le restaurant était presque toujours à moitié vide.
Ma cuisine a émergé avec le temps, et le Reale a commencé à obtenir des récompenses, c’est alors que j’ai dû faire des choix. Déjà après la première étoile Michelin, mais encore plus après la deuxième. J’ai reçu de nombreuses propositions d’entrepreneurs de la restauration et de l’hôtellerie pour prendre en charge la gestion de restaurants d’envergure. Des propositions alléchantes et flatteuses pour un jeune chef des Abruzzes. Je les ai toutes refusées pour me concentrer sur Casadonna et ma région.
Les Abruzzes s’expriment dans votre cuisine ?
J’ai toujours considéré que la cuisine avait beaucoup à voir avec l’identité, or l’identité est liée aux lieux, aux atmosphères, aux personnes, aux noms, aux parfums et aux produits que chaque territoire a à offrir. Cela n’a pas signifié me replier dans les Abruzzes ou ne m’inspirer que de la tradition locale dans ma cuisine. Cela a plutôt été et est toujours d’avoir conscience et connaissance de ce qu’elle est pour pouvoir s’en éloigner, quand bien même certains plats sont issus de la tradition. C’est le cas des côtes d’agneau grillées ou de l’Absolu d’oignons, parmesan et safran toasté, qui sont à la carte du Reale depuis des années, et représentent pleinement le caractère abruzzais de ma cuisine. Mon travail a été très influencé par mon territoire. Au début, les plats que j’imaginais étaient une revisitation des traditions locales. Au fur et à mesure que ma cuisine grandissait, je me suis émancipé des recettes de la région. J’ai continué et je le fais toujours à utiliser les meilleures matières premières de ma terre, mais aujourd’hui les Abruzzes représentent pour moi un idéal de référence. Un idéal de concentration, réflexion, respect, vérité, appliqués à l’ingrédient. C’est en m’inspirant de ces valeurs que je cuisine et que je modèle progressivement mon idée de la nourriture du futur.
Des spécialités de votre région d’origine ?
Le Torcinello d’agneau rôti avec cime di rapa et moût, par exemple, est un plat de 2007 qui est toujours à la carte du Reale. C’est un grand classique de la cuisine abruzzaise, une recette de la tradition bergère au goût robuste, que j’ai adouci et retravaillé en version moderne. La version originale est à base de tripes d’agneau enveloppées dans un boyau, cuites à la braise : j’ai remplacé le boyau par du filet et choisi la cuisson à la vapeur qui adoucit le goût et donne à la viande une saveur très délicate.
Ris, crème, citron et sel raconte de manière nouvelle la tradition des Abruzzes de cuisiner les abats : ici la technique de cuisson exalte la composante douce et pure de la viande, en concentre la saveur, tandis que la crème, le citron et le sel fin, avec leur fraîcheur, soulignent le goût des ris. Dans les Lentilles, noisettes et ail, par exemple, je prends les lentilles de Santo Stefano di Sessanio, tandis que dans l’Absolu d’oignons, parmesan et safran toasté j’utilise un des produits phares de notre région, le safran de l’Aquila.
Pourquoi la France ? Que souhaitez-vous partager avec les Français, leur faire comprendre ?
La cuisine italienne et la cuisine française sont deux grandes cuisines, toutes deux extrêmement identitaires, toutes deux avec un énorme pouvoir narratif. Elles racontent l’histoire d’un territoire, la culture d’un peuple et une grande tradition gastronomique, mais elles viennent de deux écoles complètement différentes.
La cuisine française a enseigné au monde comment faire de la restauration, ou comment traduire les dogmes de sa tradition culinaire en format gastronomique, en en faisant un manifeste national.
La cuisine italienne au contraire naît de la cuisine domestique, elle apporte à table une tradition qui se transmet depuis des générations, et qui diffère non seulement d’une région à l’autre mais d’un village à l’autre. Notre cuisine est basée sur un ensemble de plats, techniques, produits et traditions fusionnés dans un imaginaire au ton simple, beau et authentique. Je suis convaincu qu’en Italie plus qu’ailleurs, découvrir la cuisine signifie découvrir un réservoir inépuisable d’ingrédients et d’histoires, et cette inimitable capacité à susciter la joie et à créer la familiarité.
Pourquoi avoir accepté ce partenariat avec Bulgari Hôtel ?
Ce projet a été un grand défi pour moi, d’une certaine façon, la réalisation d’un rêve secret. Quand je vais à l’étranger je vois tellement de restaurants qui proposent une cuisine pseudo-italienne, qui n’a pas grand-chose d’italienne, et j’ai toujours rêvé de pouvoir raconter au reste du monde la réalité de notre cuisine, celle que nous mangeons depuis que nous sommes enfants et celle que nous trouvons encore aujourd’hui dans les meilleurs restaurants de notre pays.
Bulgari m’a offert cette opportunité, j’ai alors travaillé avec mon équipe pour concevoir une carte qui soit comme une anthologie des grands classiques de la cuisine italienne. Le projet épouse parfaitement mon idée de standardisation (tous les hôtels auront la même carte) et de reproductibilité : l’objectif en fait est d’offrir dans tous les hôtels Bulgari le même concept et la même image de la cuisine italienne, dans mon cas, faite d’élégance, équilibre, propreté.
Votre ingrédient préféré ?
Le pain
Un artisanat remarquable ?
Celui des ingrédients locaux que nous utilisons en cuisine : les pois chiches de Navelli et les lentilles de Santo Stefano di Sessanio, tous deux des produits Slow Food. La ricotta produite par Gregorio Rotolo, producteur historique de Scanno. Au petit déjeuner, nous servons le yaourt de Cianflocca (entreprise locale de Castel di Sangro) et le beurre battu de Trotta, de la commune voisine Capracotta dans le Molise. Le miel vient de notre ruche, en collaboration avec Les miels Thun. Les farines que nous utilisons pour le pain noir sont à base de deux anciennes variétés de blé typique du centre-sud, Solina et Saragolla, dont nous achetons les farines dans une entreprise agricole du Teramo. À l’apéritif nous servons la tranche de pain avec du Cuor di Paganica, saucisson prisé de la province de l’Aquila.
Vos références culturelles ?
Mes sources d’inspiration proviennent de différents environnements, outre la gastronomie, l’architecture, le design et l’industrie me fascinent : des architectes comme Carlo Scarpa, Bauhaus, Mies van der Rohe et parmi les contemporains Vincent van Duysen, les grandis industriels italiens comme Gianni Agnelli, Marchionne… ont marqué leur époque.
Vous appréciez la gastronomie japonaise ?
Beaucoup. Je suis fasciné par l’extrême propreté des plats de la cuisine japonaise, la simplicité et les techniques de cuisson sont ma passion. Je ne suis encore jamais allé au Japon, il me tarde de pouvoir m’y rendre.
Les mots de la f(a)im ?
Je crois que préserver notre cuisine, défendre et promouvoir la culture italienne de l’alimentation est un devoir, un bien culturel qui concerne tout le monde. Nous devrions commencer à répertorier la variété de nos productions, tant agricoles que culinaires, et l’extraordinaire biodiversité biologique et culturelle qui nous représente et nous unit, qui constitue une part importante de notre identité, ainsi que de cet ensemble de concepts et de produits que nous appelons le Made in Italy. C’est un passage indispensable pour créer une image de la cuisine italienne dans le monde cohérente avec la réalité du Bel Paese.

Bulgari hôtel Paris – 30 avenue Georges V – Paris 8
Restaurant Reale– Piana Santa Liberata – 67031, Castel di Sangro (AQ)